Occitanie-Japon
Quand le Midi a rendez-vous avec le Soleil Levant
Au départ, tout va bien. Le Boeing 777 d’Air France s’est posé à l’heure sur l’aéroport de Tokyo-Narita. Il fait grand beau. Et l’Airbus à gauche de la passerelle vous donne le sourire. Sa compagnie s’appelle “Aircalin”.
Nom en forme de clin d’oeil, sans doute, pour qui éprouverait soudain, au terme d’une nuit de vol, un besoin de consolation en entrant dans ce monde inconnu, là, au bout du couloir. Mais déjà arrive l’escalator. Avec son panneau blanc à lettres rouges résonant comme une définition de cruciverbiste pour dire : « perdu, en quatorze lettres ». Qui s’écrit... « welcome to Japan », en anglais international. Mais se traduit en sept caractères japonais seulement, comme soudain autant de mystères abyssaux...
Bienvenue au Japon, donc ! En ayant pris soin de vous essuyer les pieds sur le tapis jaune et bleu dont les flèches rouges vous indiquent « disinfection ». De l’insularité et de la méfiance de tout germe étranger... Ici aussi, on roule à gauche, comme chez les Anglais. Et « le Japon reste un peu en dehors de la mondialisation, sachant cultiver son altérité, restant très différent de tous les autres pays d’Asie. Pourtant le fait qu’il soit un peu à l’écart nous le rend aujourd’hui paradoxalement plus accessible, à nous les Français, car chacun y trouve une forme de complémentarité en se positionnant un peu à l’écart des affrontements entre Américains, Chinois et Russes sur la mondialisation », vous explique en forme de préambule un diplomate. Bref, et quoi qu’il en soit...
Il faut douze heures aujourd’hui pour rallier par les airs Paris à l’archipel du « pays de l’origine du soleil » devenu en français « pays du soleil levant ». Au XVIe siècle, il fallait des mois, des années même, lorsque le Portugais Fernao Mendes Pinto aborda à Cipango, nom chinois du Japon tel que l’avait retranscrit Marco Polo. Dans la foulée, Saint-François-Xavier tenta bien de poursuivre l’aventure... Sauf que les Japonais comprirent qu’après le droit canon des missionnaires, les canons de la colonisation chercheraient bientôt à faire valoir leurs droits sur leurs îles.
Sakoku : trois syllabes pour dire que sous l’autorité des puissants shogun Tokugawa, l’archipel se referma alors sur lui-même de 1600 à 1868 (ère d’Edo). Avant de se rouvrir pour s’industrialiser en un rien de temps (ère Meiji, littéralement gouvernement éclairé, entre 1868 et 1912), vu qu’en 1853 les Américains leur avaient envoyé une escadre de navires de guerre pour leur expliquer les règles du libre échange dissymétrique. Un épisode resté dans l’histoire sous le nom des « traités inégaux ». Bientôt 150 ans après l’irruption d’une modernité décrétée ? Le temps ne fait toujours rien à l’affaire pour le visiteur étranger. Ni l’apparence de familiarité que peuvent donner les bâtiments modernes d’acier et de verre, ni le passage standardisé de la douane. Découvrir pour la première fois cet antipode, hier comme aujourd’hui, c’est encore toucher du doigt et -comme rarement- qu’au delà de « loin », ici s’appelle vraiment « l’ailleurs ».
L’ailleurs... Soit 6852 îles, si l’on se base sur une taille minimum de cent mètres de pourtour, dont 430 habitées avec pour principales Honshû, Hokkaidô, Kyûshû et Shikoku. Un peu plus de la moitié de la superficie de la France avec 377 000 km2... mais près du double d’habitants, soit 126,3 millions de Japonais, a fortiori aux identités multiples à l’instar de leurs territoires : en plus de ne rien comprendre à ce qui est écrit sur les panneaux, il faut d’emblée se résigner à ne rien pouvoir résumer. À juste regarder la mosaïque. Et quand on peut, à se faire expliquer... pour se voir confirmer qu’on a rejoint Bill Murray sur l’affiche de « Lost in Translation », qu’on fait partie du film à présent. Prendre pied et perdre pied d’un même pas, l’arrivée au Japon...
UN PAYS DE CARACTERES
Dans son bocal à fumeurs pour voyageurs, cet homme, par exemple, est plongé dans les pages « monde » de son quotidien. Ce que suppose du moins une photo montrant Donald Trump. Car pour ce qui est de décrypter... Traductrice, Akemi résume : « à la fin de l’école primaire, un élève maîtrise un millier de caractères, en général, et environ deux mille à la fin du collège. Pour pouvoir lire le journal, on estime qu’il faut en connaître au moins 3000. » à bon entendeur... nouveau sentiment d’impuissance du visiteur qui pour s’orienter dans la vie se débrouille depuis quelques décennies en combinant les 26 lettres de son alphabet latin et quelques unes de leurs cousines grecques ou cyrilliques.
De fait ici... On roule « du mauvais côté de la route », grincera tout Français accroché à ses règles napoléoniennes. Mais aucun carton volant, aucun papier gras, aucun déchet ne pollue l’autoroute ni les bas-côtés. Aucune vieille bagnole, non plus sur le bitume. Périphérie sans âme des grands nulle part internationaux entre aéroport et capitale, l’architecture d’un hôtel à l’allure de château hollywoodien capte le regard avec ses toits bleus et ses coupoles. Puis d’autres hybrides baroques du même goût -bons pour une nuit, un repas- se succèdent qui marquent aussi les banlieues des mégalopoles. Ponts, cheminées d’usines, tours de communications, buildings sur bras de mer encadrés de béton quadrillé, bateaux.
Droit devant, un panneau flèche le « Rainbow Bridge », le pont arc-en-ciel. Puis enfin apparaît la fameuse « Tour de Tokyo » et sa silhouette à la Eiffel, plantée en rouge et blanc pour signer définitivement l’arrivée. Le temps de jeter les bagages à l’hôtel et la délégation entre dans le vif du sujet, sans round d’observation.
Ce que sont venus faire au Japon cette trentaine de chefs d’entreprises, universitaires, élus, avec Carole Delga ? Exporter l’Occitanie, ses filières d’excellence. Et séduire les investisseurs. Mission économique qui doit les conduire de Tokyo, à Kyoto, Osaka, Kobe et Hamamatsu pour montrer qu’ici comme là-bas, la tradition n’exclut pas l’innovation au plus haut niveau. Et pourquoi le Japon, pour cette première visite à l’internationale de la présidente de la nouvelle grande région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée ? Simple...
JAPON : PREMIER INVESTISSEUR ASIATIQUE EN FRANCE
Avec 14 milliards d’euros l’an dernier, ce pays reste le premier investisseur asiatique en France -et en Région- devant la Chine, tandis que la France est le troisième investisseur étranger au Japon et son cinquième partenaire scientifique. La France et le Japon sont donc des partenaires essentiels, ainsi qu’en témoigne en cette fin 2016 le Forum France-Japon de l’innovation, à Osaka, qui vient lui-même clôturer l’Année franco-japonaise de l’innovation, événement au cœur de ce déplacement. Données et rendez-vous qui parlent donc à l’Occitanie où vingt-et-une entreprises japonaises sont implantées, représentant 3400 emplois avec parmi elles quelques-unes des plus grandes firmes. Otsuka, nutrition et santé : 1100 personnes ; NTN, 450, dans les roulements à billes. Poids lourd des instruments d’analyse et de mesure basé à Kyoto, la capitale du Kansai -région dont le PIB équivaut à celui de la Corée- le groupe Horiba (1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires) pèse désormais 650 emplois, par exemple, à Montpellier.
«En 2011 Horiba ne savait pas où implanter sa branche médicale dont les automates sont à la pointe dans le diagnostic in vitro en hématologie et chimie clinique», se souvient le vice-président Damien Alary, qui était alors premier vice-président de Languedoc-Roussillon. De sa rencontre avec Atsushi Horiba, P-D.G. du groupe, allait alors naître la dynamique qui déboucherait en 2015 sur un partenariat officiel de coopération avec Kyôto et sa région et le renforcement des liens universitaires entre les campus, tant côté médecine qu’agronomie.
L’autre base de ce voyage ? Elle se trouve du côté de Toulouse, avec l’invitation en avril 2016 par Marie-France Marchand-Baylet, P.D.-G du groupe Dépêche du Midi, de l’ambassadeur du Japon Yoichi Suzuki. Intervention du diplomate devant l’Institut d’études politiques, dîner avec les entreprises travaillant ou souhaitant travailler avec le Japon… suivi en juillet par la venue de Thierry Dana, l’ambassadeur de France au Japon, pour une rencontre avec Carole Delga qui décide cette première mission économique et universitaire : du 2 au 8 décembre, l’enchaînement des rendez-vous chez Panasonic, Kyocera, Asics, Yamaha, NTM ou entre entreprises au Forum d’Osaka et entre représentants de l’enseignement supérieur avec leurs homologues nippons, doit mettre en avant les atouts dont peut se prévaloir l’Occitanie pour développer ses relations avec le Japon.
Ceux de la gastronomie et du tourisme, certes, côté traditions. Mais surtout ceux d’un «écosystème favorable à l’innovation», résume sa présidente, qui ne manque pas une occasion de montrer un territoire comptant 33 000 chercheurs et où voisinent le meilleur de l’aéronautique et du spatial avec Airbus, mais aussi de la médecine et de l’agroalimentaire ainsi que des start-up en phase avec toutes les préoccupations japonaises, sans oublier l’essence du rugby… sachant qu’en 2019 la coupe du Monde se jouera au Pays du Soleil Levant. Horizon d’ovalie qui parle au créateur de VOGO Christophe Carniel, sur un petit nuage...
Ce samedi après-midi, à Tokyo ? Le chauffeur du bus à casquette et gants blancs a pris la direction d’Odaiba, grande île artificielle dans la baie bordant la capitale. La première visite de la délégation d’Occitanie est pour l’ « innovation center » de Panasonic. Et le «bébé» de l’entrepreneur montpelliérain trône au cœur du tableau, comme l’un des symboles des capacités en ce domaine que la Région vient promouvoir au Japon. Panasonic… Depuis 1918 et sa première ampoule, le géant japonais a fait de la lumière son royaume puis de l’image son empire, de télés domestiques en écrans géants, dans les espaces commerciaux et les grands stades, notamment. Et voilà que Christophe Carniel lui propose justement un trait d’union entre toutes ces dimensions…
«Quand vous êtes dans un stade pour un match ou tout autre événement sportif, vous avez l’émotion mais pas le confort de la télé pour les ralentis, les gros plans, les angles multiples. Afin de pallier cette frustration, j’ai donc conçu une application permettant au spectateur de recevoir ces plans sur portable ou tablette, lorsqu’il est dans les tribunes», explique-t-il, faisant défiler sa démo sur son téléphone. Une appli gratuite, financée par les annonceurs qui seront visibles sur l’événement…
PANASONIC, 5 MILLIARDS D’EUROS EN R&D...
Avec la coupe du monde de rugby en ligne de mire à l’horizon 2019 suivie des Jeux Olympiques de Tokyo en 2020, Panasonic, 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 140 000 brevets nationaux et qui a dépensé plus 5 milliards d’euros en recherche et développement pour 2015 n’a donc pas laissé passer l’énorme potentiel de VOGO. Test privé avec la fédération japonaise de rugby fin 2015 (l’entreprise possédant son propre XV), en présence de l’équipe JO de la firme, suivi d’autres démonstrations à Pau et Toulouse... Aujourd’hui, Christophe Carniel touche au but : il va signer un MoU, un memorandum of understanding, une convention d’accord avec Panasonic.
Protocole au rasoir. Remise des cartes de visite comme le veut l’étiquette japonaise, en s’inclinant respectueusement et en tendant son petit carton personnel à deux mains, entre le pouce et l’index, comme l’offrande d’un prolongement de soi couché sur papier bristol... Politesses et remerciements réciproques. Surtout ne pas mettre à la poche de façon désinvolte l’identité de l’interlocuteur, mais bien la ranger dans tout porte cartes qu’on se doit d’avoir... « Nous sommes très intéressés pour introduire au Japon cette technologie pour promouvoir le sport et la relation entre notre pays, la France et l’Occitanie », sourit M. Uda, rappelant que l’entreprise équipe déjà des stades de base-ball et de football. Et cet après-midi-là, la visite du géant japonais confirme que la start-up occitane a tapé dans le mille, comme l’intelligence numérique développée derrière ses murs d’écrans et ses messages ciblé scanne aussi en tout spectateur le client potentiel.
Lequel, éventuellement inquiet de tant de sollicitude et de stockage de données, n’en reste pas moins les yeux écarquillés devant ce Japon résolument futuriste que Panasonic incarne dans son « showroom » où, savamment éclairé, l’étal de légumes est un banc d’essai à déclencher la « pulsion d’achat » et où une vidéo High-Tech de kabuki traditionnel sur fond courbe côtoie un aquarium d’élégants poissons nageant sans eau entre les ondulations de fleurs tout aussi virtuelles, sur des tables d’exposition à l’esthétique raffinée. Façon de rappeler qu’ici, l’avenir parle toujours au futur sans jamais divorcer du passé. Et sans tabou quant au but recherché.
TROISIEME PUISSANCE ECONOMIQUE DU MONDE
Articuler les apparences contraires : tout un art. Car malgré une dette de 248 % du PIB en 2015, une économie encalminée par le choc de 2008 suivi de la catastrophe de Fukushima en 2011 et le sévère vieillissement de sa population, le Japon réputé «en crise», c’est tout sauf la Grèce qui n’affiche « que » 177 % d’endettement : un pays qui demeure la troisième puissance économique du monde et où les Japonais restent propriétaires de la créance… vous rappellent un chômage à 3,5 % comme l’ambitieuse verticalité des buildings de Tokyo «l’élégante», d’Osaka «la gourmande», et même, entre les deux, l’horizontale mais hautaine Kyoto, hiératique capitale du passé où sortir en kimono fait pour d’aucuns encore partie d’un décor quotidien. Lequel n’empêche ni les écouteurs sur la tête, ni le téléphone portable dernier cri dépassant de la vaste manche traditionnelle.
Pas de bombages rageurs, aucun tag vengeur, quelques cartons -rangés- de Furosha, les SDF, mais pas un papier par terre, une propreté de chaque instant et la fluidité des millions de salarymen partant travailler dans leur sombre costard cravate de rigueur et défier le karoshi, l’épuisement mortel au boulot dans les entreprises héritières des zaibatsu, conglomérats des grandes féodalités industrielles… dans l’œil du touriste qui survole le paysage, les clichés s’empilent. Uniformes dès l’école. Chauffeurs de taxi en gants blancs. Sourire de rigueur. Salut profond. Discipline. Discrétion. Abnégation. Propreté, politesse, ponctualité : trois vertus majeures sous l’égide de la tradition.
SOCIETE DU SPECTACLE
Coupe du monde de rugby conçue comme une répétition générale des JO de 2020 , en attendant « ceux de Paris en 2024 vers lesquels nous regardons déjà ! » pointe M. Uda... derrière le slogan maison « a better life a better world », une meilleure vie, un monde meilleur, c’est aussi la quintessence de la société du spectacle, la fusion totale du sport et de la pub qui s’élabore sous les yeux du visiteur, le but des lumières Panasonic étant par exemple aussi de pouvoir « créer des sensations agréables chez le spectateur, des émotions avec un arc en ciel de couleurs pour illuminer le match lorsqu’il y a un but ou un temps fort » explique la guide. Le tout dans un univers évidemment « eco-friendly ».
Car demain, dans les supermarchés du futur imaginé par la marque... sur des écrans omniprésents, au delà de ses courbes avantageuses soulignées par un éclairage ad-hoc, la courgette aura sa fiche signalétique, son origine, sa composition, ses qualités nutritives et gustatives et ses meilleures recettes. Des propositions vertes s’afficheront d’ailleurs, pour vous tenter d’un « how about salad for beauty ? » dans un « healthy menu » for you. Oui, « que diriez vous d’une salade pour vous faire une beauté » dans un « menu sain » ? Mieux, du bout du doigt sur les surfaces tactiles, chacun composera le hamburger de ses rêves.
« C’est ludique, hein !? », s’émerveille l’un. « Flippant », juge l’autre, regrettant déjà son marché du samedi. Comme les mémoires des ordinateurs semblent aussi tourner là pour fabriquer des citoyens ou plutôt des consommateurs à téléguider de bout en bout et , eux, sans autre mémoire que la jouissance du moment d’achat. Sans capacité de concentration au delà de trente secondes et de la prochaine sollicitation visuelle, tactile, olfactive. Au stade. Dans le magasin. Flash-back Minority Report.
Risque croissant d’une société de la surveillance voire de l’auto-contrôle, sans plus d’intimité ni de libre arbitre, à force de transparence et d’analyse des goûts des chalands, aux rêves de plus en plus pré-formatés et imposés ? Question à mi-voix au voisin de visite français, mais vivant au Japon. Il sourit, hoche la tête puis répond : « Ici, les jeux d’argent sont interdits. Officiellement. Mais le Japon veut et va autoriser les casinos... alors qu’il s’inquiète aussi de l’addiction au jeu chez les Japonais.
Sa réponse à ce problème ? Eh bien c’est de construire un robot avec des capteurs qui pourrait déterminer à la température des corps et à l’examen des yeux si le joueur est en train de perdre le contrôle de lui-même, afin de prévenir le problème ». Silence. « Vous voyez les applications possibles en dehors des casinos, côté sécurité et contrôle des individus ? ». A fortiori lorsque l’on sait que l’intelligence artificielle est aussi une priorité.
Mais en attendant « Panasonic will continue to deliver the excitement of the Olympic Games ». Et on a aussi le droit de regarder ses inventions visuelles avec des yeux d’enfant. Sans perdre de vue les réalités extérieures « du pays des paradoxes » où toutes les époques semblent vivre ensemble, vous raconte par exemple cette femme brandissant comme autrefois un panneau de réclame à l’entrée d’un magasin... mais dans une avenue écrasée par les écrans haute définition et les spots futuristes.
Et au tour de l’Occitanie de recevoir, ce soir, dans ce registre de la tradition. À faire donc rimer avec « innovation » pour introniser, entre autres, M. Sasaki Hidekasu, de Panasonic dans « l’ordre pacifique et souverain des Tasto Mounjetos de Comminges ». Pour ce faire, c’est André Pachon qui est aux fourneaux. Avec des haricots... tarbais à portée de main, pour une soirée gastronomie et convivialité sous l’égide de la Région. Petits plats dans les grands, menu composé en fonction des fleurons de la Région, avec bien sûr saucisse de Toulouse, jambon, Noir de Bigorre, tomates au roquefort, pur brebis Napoléon, tartes occitanes et milhas au miel arrosés par des Minervois et Corbières... André Pachon, 72 ans, chef carcassonnais étoilé au Michelin, introducteur du cassoulet et pionnier de la restauration française au Japon, se multiplie tandis que s’active sa brigade. « Je suis arrivé pour l’exposition universelle d’Osaka en 1970, j’étais venu pour six mois sur le pavillon du Canada et puis j’ai rencontré ma charmante épouse », se souvient-il.
Deux fils, trois restaurants et 4,5 M€ de chiffre d’affaires annuel plus tard, avec pour navire amiral le Daikanyama, celui qui est devenu le « Monsieur Cassoulet » du pays (en révélant notamment aux Japonais que le haricot pouvait se manger salé et non sucré en pâtisserie), affiche outre ses étoiles un 16/20 au Gault et Millau, soit trois toques, mais garde un pied à terre à Carcassonne près du canal du Midi, « pour toute la famille, l’été ».
«Certes, j’ai connu le Japon en meilleure santé mais je n’y vois pas de gros changements au quotidien», confirme alors le chef, qui relève que «les Japonais nous connaissent mieux que nous ne les connaissons». « Ce sont des gens naturellement curieux, des insulaires certes, mais qui veulent savoir ce que l’on pense d’eux, comment on les voit, comment on les ressent », constate-t-il, témoin de l’évolution du consommateur local, depuis bientôt 50 ans. « Avant ? Seul le prix comptait : il fallait que ce soit cher pour être bien et ils dépensaient donc mal, c’était évident avec les vins. Aujourd’hui, ils dépensent intelligemment et en veulent pour leur argent. » Ce faisant ? La clientèle japonaise recherche désormais aussi l’authenticité régionale des produits plutôt que le clinquant des prix. «Avec nos vins occitans, nous avons donc des atouts, car notre rapport qualité prix est excellent», cligne André Pachon, qui reconnaît que son cassoulet ne connaît pas non plus la crise.
L’ATOUT DES VINS D’OCCITANIE
Mais avant de faire des affaires... « Oui, il faut que les vignerons de chez nous viennent pour pénétrer le marché, tout en sachant qu’ici, il ne faut jamais être pressé. Il faut d’abord parler de tout, de rien, de la famille, du pays. À la fin, seulement, on parlera des vins et, éventuellement, affaires, car ce qui compte au Japon, c’est d’abord de nouer une relation de confiance. Rien ne va vite, au Japon, mais le jour où c’est conclu, c’est du solide, ça marche et ça dure ». L’autre conseil ? « Ils ont l’amour de leur pays -c’est leur force- et une culture de l’amour du travail, de la propreté, de la discipline mais il ne faut pas essayer de les copier. France, Japon, chacun a ses qualités, il faut se compléter et savoir que les Japonais nous adorent mais qu’ils sont souvent déçus par l’accueil qui leur est fait en France, un point à améliorer d’urgence, donc. »
Un peu plus loin, Jean-Marie Bouissou discute avec des convives japonais autour du buffet. Directeur de recherches à Sciences-Po, il vit depuis 18 ans ici. Et relativise lui aussi la situation actuelle de l’archipel. « Le Japon est en mauvais état si on regarde les statistiques puisqu’il a la plus faible croissance des pays développés et une population qui diminue : il va passer de 126 millions d’habitants à 100 millions d’ici 20 ans, si la courbe se poursuit. Mais en même temps... C’est un pays qui ne stresse pas, un pays extrêmement agréable à vivre, où l’on vit en sécurité et où le chômage n’existe pas avec plus d’un emploi proposé en moyenne à tout demandeur. Pour l’heure, il arrive à concilier l’inconciliable, politiquement et socialement, stable malgré la crise avec un gouvernement qui dit ce qu’il veut et fait ce qu’il dit. Le vrai problème, c’est le grand voisin chinois... » Face à face historique depuis des siècles, enjeux maritimes, voies stratégiques, revendications d’îles, ressources pétrolières et gazières dans la région aujourd’hui... quiconque suit les incidents en mer ou dans le ciel le sait. Entre avril et septembre 2016, la chasse japonaise a décollé 407 fois pour des violations de l’espace aérien nippon par des avions chinois. Le double de l’année précédente. Et la flotte de guerre de l’Empire du Milieu ne cesse de croître, sur et... sous l’eau, avec de plus en plus de sous-marins. Chine, mais aussi Russie et Corée du Nord : lorsque l’on est face à trois régimes de ce gabarit, jamais en panne de prétentions, l’équilibre des relations aussi est un art.
De Tokyo à Kyoto...
De Tokyo à Kyoto, il y a 450 km par la route, disent les cartes sur internet. 513 km par le rail, affirme d’aucun guide touristique. Il y a aussi la rivalité historique, entre l’ancienne capitale des shoguns Tokugawa, Kyoto, jusqu’en 1868, et la nouvelle, Edo, littéralement « porte d’entrée des fleuves », devenue Tokyo lors du transfert de pouvoir. « Kyo » : « capitale », « To » : « Est », et réciproquement, décode l’interprète, Quoi qu’il en soit... il y a surtout le mythique Shinkansen -le TGV japonais inauguré il y a plus de 50 ans- pour couvrir la distance en 2h20, en tout confort.
Nouvel ailleurs ferroviaire qui commence dès le quai pour la délégation d’Occitanie, comme descend l’équipe en rose des dames de l’entretien qui saluent les voyageurs et leur prient bon voyage. À bord ? Un silence, un confort et un service qui font rêver et sur lesquels veillent les contrôleurs. Par hasard, il y a dans le compartiment une petite équipe du Sénat américain. La conversation s’engage entre elle et quelques Français à leur siège. Rappel rapide et courtois à la loi.
Dans une voiture du Shinkansen, on ne parle pas à haute voix et on s’assied, intime la contrôleuse. Pour ceux qui veulent s’abîmer dans la contemplation du paysage, alors, arrive très vite le Mont Fuji et sa couronne blanche. Juste le temps d’apercevoir la succession d’agglomérations sur ce littoral surpeuplé que la montagne laisse aux Japonais et à une agriculture dont la taille moyenne des exploitations est de un hectare et l’âge moyen de l’exploitant plus de 60 ans... Minuscules champs de riz fragmentant l’urbanisation, entre usines, immeubles et maisons traditionnelles au cordeau, «espace contraint qui contraint, lui-même, chacun à l’autodiscipline, à la primauté du collectif sur l’individu», analyse une Japonaise…
Le Japon, c’est aussi la terre de l’impermanence, se souvient-on. Où les tremblements de terre, les éruptions, les tsunamis -et tragiquement désormais le nucléaire aussi- dévastent tout, rasent des villes entières et déciment la population depuis des siècles. Où tout reconstruire tout le temps fait partie d’un autre type de « tradition » aussi. De là cette force des Japonais à porter ancrée jusqu’au plus profond d’eux mêmes leur culture, leurs rites, l’architecture même de leur civilisation, charpente interne, intériorisée par chacun et ainsi indestructible d’un espace à réinventer constamment mais sans jamais déroger à ses origines ? Question, en rêvassant à grande vitesse. Entre deux relectures de notes. Ce que dit par exemple l’un des Français rencontré à Tokyo, encore, quant à ce voyage du Midi au Pays du Soleil Levant ?
DANS LE BON TEMPO
« L’Occitanie se place dans un bon tempo et elle a une carte à jouer ici, aujourd’hui au Japon, car en ce moment, il y a un mouvement de décentralisation du pouvoir dans l’archipel : les régions comme la préfecture de Kyoto peuvent désormais mener leur propre politique étrangère. De plus, votre région est loin d’être une inconnue : il faut savoir que le modèle Airbus a été très étudié au Japon. Que des gens qui ne sont pas des Américains obtiennent de tels succès en aéronautique, cela épate les Japonais. Et puis il y a aussi l’atout de la gastronomie. Sachez également que le Japon est suspendu à la crise de la filière « canard », il suit de très près la grippe aviaire : il est le premier importateur de foie gras ! »
DE LE CEREMONIE DU THE AUX CERAMIQUES TECHNIQUES
Ah, la gastronomie, le bien vivre… Justement ce que connaît du Sud-Ouest Tetsuo Kuba, président de Kyocera, recevant maintenant Carole Delga et la délégation régionale. Après la cérémonie du thé et l’accueil en grand protocole par le gouverneur de la préfecture de Kyoto Keiji Yamada appelant à « une mondialisation heureuse grâce à ce type de partenariat » puis les échanges officiels pour poursuivre l’accord initié par Damien Alary lorsqu’il était à la tête de Languedoc-Roussillon ;
après les signatures prolongeant la coopération lancée en 2015 entre les deux régions, notamment au niveau des universités qui signent alors pour leur part un mémorandum d’entente (MoU) entre Montpellier et la capitale du Kansai ; après la réception, pour la première fois et, par l’Assemblée préfectorale de Kyoto d’un élu étranger en la personne de la présidente d’Occitanie...
C’est maintenant la visite chez Kyocera, donc, mastodonte des céramiques techniques ayant signé un partenariat avec Sigfox, entreprise française de pointe installée à Labège (31) et opérateur télécom de l’internet des objets à l’ambition mondiale.
L’aveu paradoxal de Tetsuo Kuba n’identifiant alors que la gastronomie en Occitanie ? Il tombe à point pour mieux se présenter. «Notre région est avec Toulouse le berceau d’Airbus, leader mondial dans l’aéronautique et le spatial, la première de France en termes de recherche, de croissance du PIB, de taux de création d’entreprises, la première pour l’attractivité démographique», sourit poliment Carole Delga qui énumère toutes les filières Hi-Tech et Santé, et recommence le lendemain à Osaka, en ouverture du Forum France-Japon de l’innovation…
Devant l’auditoire japonais et une salle comble, l’objectif de l’ancienne secrétaire d’Etat au commerce ne varie pas : exporter l’occitanie. Et de remettre le couvert sur la gastronomie, certes, mais plus en clin d’oeil à Osaka « la gourmande », puisque cette capitale du commerce a la réputation d’une fine-gueule, au Japon, mais surtout sur le réservoir de compétences qu’est l’Occitanie, pesant ses milliards en industries. Une région qui est le berceau d’Airbus, premier pôle mondial de l’aéronautique et de l’espace et la première de France pour ce qui est de l’effort pour la recherche et le développement, bref, une véritable « nursery » pour start-up en pointe sur le numérique.
« Nous sommes une terre où se crée l’économie de demain et au niveau des enjeux, nous sommes en résonance avec les préoccupations japonaises actuelles, tant pour l’innovation que pour la préservation de notre authenticité », souligne la présidente du Conseil régional. « 33 000 chercheurs » : leit-motiv aussi, pour dire également à Osaka qu’au delà des avions, des satellites, l’Occitanie, c’est « la santé et le médicament, les biotechnologies, la robotique », rappelle Carole Delga devant les investisseurs et les acteurs de ce forum où l’on planche aussi sur les réseaux électriques intelligents ou les textiles techniques, avec par exemple une modification génétique du vers à soie pour rendre son fil luminescent...
Ici, se rencontrent, entre autres, les révolutions robotiques, nanotechnologiques ou hydrogène d’aujourd’hui. Dernier point qui concerne Vincent Guerre pour Leaf, axée sur la production et le stockage de l’énergie, basée à l’Ensiacet de Toulouse et venu échanger sur les projets. Mais d’Occitanie, il y a aussi Sterela, Archean, Kaliop, Safra, Nexway, une douzaine d’entreprises régionales pointues et le Cluster leader présidé par Jalil Benabdillah qui en représente 150. «Grâce à cette mission, on a accès à des interlocuteurs auxquels on n’aurait pas accès tout seul», se félicite pour sa part Muriel Lelong de Projection Plasma Système, entreprise aveyronnaise spécialiste des revêtements d’implants orthopédiques par projection plasma, «venue pour une étude marché» et qui, radieuse, repart «avec des commandes». Tandis que côté Hi-Tech... de façon plus inattendue, c’est aussi la production d’huîtres « made Occitania » qui séduit les partenaires « made in Japan »
Christophe Carniel et VOGO, avec Panasonic, Sigfox avec Kyocéra… il n’y a en effet pas que l’image, le numérique et les datas qui séduisent les investisseurs japonais. Le conchyliculteur Florent Tarbouriech, représentant d’une famille qui cultive depuis trois générations les huîtres sur l’étang de Thau, fait également partie des innovateurs d’Occitanie sur le devant de la scène, lors de ce voyage.
PRODUIT HAUT DE GAMME
Président de Médithau, Florent Tarbouriech a lancé une huître haut de gamme aujourd’hui servie sur les meilleures tables des chefs étoilés, dans le monde entier. Un produit d’excellence qu’il obtient grâce à une technique d’élevage brevetée, permettant de reproduire artificiellement dans la lagune l’effet de la marée, grâce à un système alimenté par des énergies renouvelables et télécommandé.
«L’aventure a démarré avec la région de Kyoto il y a un an et demi, suite à une visite de M. Yamada, le gouverneur de Kyoto, sur mon exploitation et quatre voyages ont suivi au Japon. L’idée, c’est désormais d’exporter ici notre savoir-faire comme nous l’avons déjà fait en Espagne et en Italie», explique-t-il. Le Forum France Japon de l’innovation ? Un rendez-vous auquel il est arrivé d’autant plus confiant que sa technique apporte des réponses à la problématique des conchyliculteurs locaux.
« Dans certaines lagunes du Japon, ils n’ont pas de marée non plus. Notre technique de sortir quotidiennement les huîtres selon les cycles que nous maîtrisons, les intéresse donc au premier chef car l’huître ainsi soignée va développer de la nacre, de la chair, du muscle, bref, elle sera meilleure et avec une meilleure saveur.» Ce faisant, concrètement, «nous avons trouvé un partenaire que cela intéresse et bien soutenu par la région du Kansai nous ne sommes pas loin d’aboutir pour créer un élevage Tarbouriech au Japon, où ce type de produit de qualité à haute valeur ajoutée est très recherché», se félicite le patron de Médithau.
Osaka ? C’est aussi l’occasion de revenir sur quelques idées reçues, quelques clichés que les amateurs de « déclinisme » aiment à véhiculer quant aux entreprises françaises. «La France et le Japon restent des partenaires essentiels en termes d’investissements croisés et d’innovation», rappelle pour sa part Muriel Pénicaud, directrice générale de Business France qui patronne l’événement. Et de souligner qu’ «avec 14 milliards d’euros, le Japon demeure le premier investisseur asiatique en France devant la Chine». Mieux ? Que les patrons japonais aiment travailler en France !
LES PATRONS JAPONAIS DEFENDENT LE MODELE FRANÇAIS
La preuve, dans ce film que Business France projette aux invités du forum, court documentaire donnant la parole à neuf leaders économiques japonais pour évoquer la France qu’ils connaissent à travers les implantations de leur groupe. Séance de «french bashing» ? Tout le contraire en fait, car eux se félicitent des Français, «rapides et efficaces» et de leurs infrastructures mais aussi de leur position stratégique comme porte d’entrée pour l’Europe et l’Afrique.
«La France est un grand pays pour travailler», résume Fujio Mitarai, le patron de Canon. «Comparée aux autres pays, la France possède une créativité unique», souligne Motoi Oyama, président d’Asics, quatrième équipementier sportif mondial implanté dans l’Hérault avec qui l’on a rendez-vous le lendemain. «Grâce à ses investissements en France, Horiba a touché de nouveaux marchés», sourit Atsushi Horiba, à la tête du géant éponyme, dont la branche médicale – à l’origine du partenariat monté avec Kyoto, rappelons le - est installée à Montpellier. Enfin ? «Le sud de la France est la Silicon Valley de l’industrie des semences avec une abondance d’équipes locales talentueuses et de haut niveau», conclut le semencier Hiroshi Sakata.
Bilan ? Accompagnement des PME d’Occitanie, suivi des grands comptes déjà installés et démarchages de nouveaux investisseurs, “les Japonais ont été très sensibles à ce que les élus de la Région leur aient rendu visite et aux remerciements pour leurs investissements”, constate Philippe Baylet, directeur de la Mission attractivité, International, Export. “Pour les entreprises qui venaient à la découverte du marché, nous avions pris six à sept rendez-vous très ciblés et elles repartent visiblement satisfaites”, poursuit-il, content aussi des nouveaux investissements à venir du côté de Horiba ou Asics à l’issue de cette mission durant laquelle tous les grands rendez-vous stratégiques à faire ont été faits. Avec d’autres perspectives à venir, sans doute, puisque ce voyage a été également l’occasion pour Carole Delga d’aborder la question d’un possible futur partenariat avec Nagoya, berceau de l’aéronautique japonaise.
DE L’ESPRIT SAIN...
Osaka… sur la carte, ce n’est pas très loin de Kobé. Kobé où vu du bus sur l’autoroute, les cicatrices du terrifiant séisme de 1995 ont disparu. 6500 morts, 44 000 blessés, une ville dévastée... 50 ans après avoir été rasée au napalm par les bombardements incendiaires des Américains qui avaient également anéanti Tokyo (100 000 morts), le puissant port a dû à nouveau reconstruire. Aujourd’hui ? Mondialement connue des gastronomes pour son bœuf à la saveur unique, la capitale de la province de Hyogo a retrouvé toute sa superbe. Mais pour les athlètes français qui sont sponsorisés par la marque... Kobé, c’est surtout le siège d’Asics, spécialiste, entre autre de la chaussure de « running » et quatrième équipementier sportif mondial.
Asics ? Acronyme de Anima Sana In Corpore Sano. Un esprit sain dans un corps sain : le credo de Kihachiro Onitsuka lorsqu’il a créé sa première chaussure de course en 1949 avec pour objectif de sortir de la rue par le sport la jeunesse japonaise. Le modèle, rustique, trône au musée du siège de l’entreprise désormais, comme toutes les chaussures victorieuses de la marque au Jeux Olympiques et mondiaux de bien des disciplines ou aux autres grands rendez-vous du basket (avec une impressionnante chaussure de 35 cm dont on renonce à calculer la taille en sachant que le 44 fait 27cm) , du base-ball. Photos interdites, comme dans les autres entreprises visitées auparavant dès qu’il s’agit de produits techniques et chiffres d’un vague absolu, comme ailleurs chez Kyocera ou Panasonic sur les items économiques sauf à dire, ici, que la production annuelle est de « environ 20 millions de paires »... Au Japon, on ne dit jamais non, mais sans jamais perdre le sourire on ne répond pas forcément si l’on estime que les données demandées doivent relever du secret. L’accueil n’en est pas moins chaleureux. Entre Kobé et l’Occitanie, on se connaît.
Le siège d’Asics France -première filiale européenne de la marque- est en effet à Lattes, au sein de la métropole de Montpellier. Et il représente aujourd’hui une centaine d’emplois, entre la base logistique et bureaux, pour un chiffre d’affaires de 150 M€. Mais l’Occitanie a une autre bonne raison de faire cette visite de courtoisie à la grande firme sportive. M. Motoi Oyama, président d’Asics, hésite avec ses dirigeants quant à l’implantation de sa future plateforme logistique pour l’Europe. On l’a compris, vue depuis le Japon, la France méditerranéenne est considérée comme la tête de pont pour l’industrie japonaise voulant aussi des débouchés sur l’Europe de l’Est et l’Afrique du Nord. Seulement voilà... Marseille et ses « particularismes » portuaires ne font pas rêver Osaka. Qui en l’occurrence regarde donc vers... Barcelone, au delà de la frontière. Marseille, Barcelone : entre les deux un port d’Occitanie ne serait-il pas la meilleure solution, lorsque l’on a déjà une plate-forme à Montpellier ? Sète ou Port la Nouvelle qui ont au surplus pour avantage d’être gérés par un établissement public régional... « Nous avons de bonnes infrastructures, des réserves foncières, des aides disponibles et une stabilité sociale », plaide en substance Carole Delga, entre quatre yeux et en confiance. Asics... Anima sana in corpore sano.
UN PAS DE CÔTÉ
GEIKO ET MAIKO
Marathon des rencontres officielles, des discours, des rendez-vous professionnels... Pas mal de faire un pas de côté, de temps en temps. Comme ce soir, lors de ce repas officiel dans la résidence d’Etat accueillant les hôtes de marque, à Kyoto et où est reçue à dîner la délégation d’Occitanie. Finesse des mets... que l’on renonce à traduire sauf à perdre vapeurs et saveurs tant l’anglais d’un « steamed tilefish » et de son « urchin » avec « turnip dressed with Kudzu starch sauce » brise toute poésie, vin japonais... sur la scène, une geiko et une maiko présentent une danse traditionnelle. Kimi-Ni-Ougi : célébration dans laquelle l’éventail ouvert convoque avec élégances des mannes favorables pour les invités, aux accents des trois cordes pincées du shamisen.
Geiko ? Ailleurs qu’à Kyoto, on dit Geisha. Mais Kyoto reste une référence quant à ces artistes, hôtesses des maisons de thé expertes dans le chant, la danse et la poésie traditionnels dont l’imaginaire des étrangers dévoie le plus souvent à tort la fonction, ne voulant y voir que des courtisanes sophistiquées. Témoin ce panneau désormais placardé dans Guion, le quartier traditionnel de leurs établissements où la fidélité du client se jauge en générations. Interdit de toucher les geikos depuis cette affaire qui a fait un terrible scandale, l’an passé. Pensant qu’une geiko n’était qu’une « fille », un touriste chinois s’est permis d’agripper brutalement l’une d’elle par son kimono jusqu’à le déchirer dans la rue, parce qu’elle ne voulait pas le suivre et refusait ses avances. L’affaire a failli tourner à l’incident diplomatique. Car au delà de l’honneur de la jeune femme, l’honneur de sa maison de thé avait aussi été gravement touché : elle n’avait pas pu honorer le rendez-vous chez son client.
À présent, Yukiko redescend de scène. Pour l’heure, elle n’est encore que maiko, apprentie geiko, ainsi que l’indique ses lèvres : seule sa lèvre inférieure est rouge, contrairement à la geiko dont les deux lèvres sont cerise. Une jeune fille est maiko à partir de 15 ans et durant les cinq ans de son apprentissage, jusqu’à 20 ans, où elle deviendra donc geiko.
Vocation qui remonte loin, pour Yukiko : « lorsque j’avais 3 ans, ma mère, en voyant une maiko, m’a dit « toi aussi tu seras très jolie » et depuis l’enfance, je n’ai rien voulu d’autre », explique-t-elle. Après le collège, elle a donc commencé sa formation, rigoureuse, dans une maison de thé. Pour apprendre notamment à se coiffer, tiare de cheveux noirs agrémentée du traditionnel petit chat portes bonheur, montée pour la semaine et qui lui impose de dormir sur le dos, avec juste de quoi s’appuyer la nuque pour ne pas abîmer cette savante architecture capillaire. Si elle a du succès ? L’humilité interdit de répondre « oui » ou « non » à cette question. Et elle sourit donc... « en principe, j’ai deux jours de congés par mois mais ma fierté est de n’avoir aucun congé ce mois ci ».
MASQUE...
De Kyoto à Osaka, de l’ancienne capitale hautaine à la bourgeoise métropole industrielle et commerçante... le temps d’attraper un taxi dont le chauffeur vous prévient par formulaire sur son appuie-tête que « le sourire et la gentillesse sont compris dans prix de la course » et l’on part prendre l’air du temps au marché. Hiroguki Kawabe en est le patron. Du moins celui de ce quartier de Tenjin qui existait déjà il y a 500 ans. Cheveux bleus, christ autour du cou et T-shirt rock, il règne ainsi sur un site hébergeant 60 magasins de détail et qui voit passer quotidiennement 7000 à 8000 personnes mais possède également un supermarché où il évalue le passage à 4500 clients quotidiens. « Ce qui est importé et vendu ici, ce sont des produits pas chers souvent importés de Chine ou de Thaïlande », explique-t-il soulignant que sa meilleure marchandise reste « la relation au client », car « ici, nous apportons une grande attention au contact humain ».
Les pommes sont à 388 yens. Soit 3,20 € le kilo. Les mandarines à 298 yens, soit 2,50€ , les kakis idem, le choux à 2€, les carottes à 0,90 cents. Mais l’endive importée de Hollande grimpe à 1,65 € l’unité et le fin du fin, les champignons matsutake à 20 euros. Les client(e)s prennent leur temps, comparent. Respect d’autrui : quiconque est enrhumé porte évidemment un masque dans les lieux publics. Certains parfois délirants, façon tête de mort. Hiroguki poursuit la visite de ses rayons. Fier de pouvoir montrer fromages, vins, moutarde et même foie-gras français à ses hôtes.
Le panier moyen est-il cher ? « Non, dans l’ensemble, je trouve que le coût de la vie est assez bon marché au Japon. Ces dernières années, le prix des légumes a augmenté mais pas ici », estime Sato Hiromi, jeune femme de 28 ans en train de faire ses courses et qui cumule deux emplois pour vivre, le jour dans une boulangerie, le soir dans un restaurant italien. Pour elle, c’est le logement et les impôts locaux qui grèvent son budget, explique-t-elle.
De fait, ici aussi, la question n’est pas tant d’avoir du travail qu’un revenu. Masataka et Yumiko Sato grillent une cigarette, dehors sur un banc. Look de grands ados mais déjà la quarantaine. Lui tient une société fabriquant des effets et des images de synthèse, elle travaille dans un restaurant. Dans un proche avenir, ils veulent créer un restaurant de soba, des nouilles de sarrasin « mais j’ai aussi appris à faire les galettes lors d’un échange culinaire avec deux Français », pointe Yumiko. Tout deux rêvent d’ailleurs de venir un jour ouvrir un restaurant en France, « un pays à la culture originale, qui a la fierté de sa nation, une identité, l’Arc de Triomphe, le vin et la galette », énumère-t-il.
Ce qu’ils en savent, en dehors de la table ? « Que vous avez une haute technologie dans les centrales nucléaires ». La conversation se poursuit, aborde le quotidien d’un monde en crise. Eux ? « La Chine, la dette... depuis mon enfance la vie est difficile », pointe-t-elle, « on est familier des difficultés », répond-il en écho, « mais le plus difficile reste notre avenir, nous avons une grosse inquiétude pour les retraites et c’est pour cela que nous voulons monter notre restaurant pour assurer cet avenir. »
SAVOIR DIRE NÔ...
L’avenir : toute la question aussi pour le théâtre Nô, religieusement transmis de père en fils, chez les Yamamoto. Ici sont sanctuarisées toutes les traditions du théâtre des samouraïs. Ici, la structure de la scène n’a pas changé depuis le XVe siècle et les quelque deux cent textes du genre, voire un peu plus, sont codifiés avec leurs gestes depuis le XVIe. Même dans l’enceinte désormais fermée et qui a depuis beau temps quitté la cour des forteresses d’autrefois, le gravier reste blanc pour refléter les rayons du soleil. Les trois arbres sacrés, pin, bambou et prunier ont chacun leur place et leur symbolique de permanence au temps, de souplesse et de jeunesse, de fruits.
Comme la perspective stylisée et les couleurs vert, jaune, rouge, blanc, bleu. Le pas de l’acteur est lent, ancré au sol, tant pour montrer l’humilité que rappeler l’assise du combattant sur ses jambes à un public autrefois manieur de sabres. D’ailleurs, on ne s’incline pas : ce serait une posture vulnérable. M. Yamamoto père présente une scène. Lente. Hiératique. Intonations gutturales, voix puissante dans les scansions pour franchir l’obstacle lorsque le visage est traditionnellement masqué. Il explique la stylisation de chaque geste. Comment sont codifiés les pleurs, comment reconnaître la femme jeune de la femme âgée, sur le masque, la sorcière, aussi. Costumes de soie somptueux, savoir et art pluriséculaire... Pourtant, au pays de la tradition, ce n’est plus avec les salles qu’il fait désormais vivre son théâtre, « mais grâce aux cours », ces 25 élèves auxquels il enseigne, actuellement. Quant aux spectateurs qui lui restent ? « La plupart de ceux qui viennent dorment... ils travaillent trop » constate-t-il tristement.
“Occitanie-Japon. Quand le Midi rencontre le Soleil Levant”.
Un long format de la rédaction des informations générales de La Dépêche du Midi. Textes, photos et vidéos : Pierre Challier. Mise en page : Philippe Rioux. © La Dépêche du Midi, février 2017.